Home Toni Morrison

Par Dominique de Poucques - 08 septembre 2021

Toni Morrison, l’immense écrivaine américaine, Prix Pulitzer en 1988 et Prix Nobel en 93, publie en 2012 le roman « Home », dans lequel elle fait en apparence simplement le récit d’un homme qui rentre chez lui. De retour de la guerre de Corée, Frank Money se retrouve perdu dans l’alcool, victime d’un syndrome post traumatique, errant, seul. Il apprend par une lettre laconique que sa sœur est en danger et décide de rentrer chez eux, en Géorgie. Lui revient alors en mémoire leur enfance, ces moments privilégiés passés ensemble, et comme il devait la protéger dans cette existence sans douceur. « Leurs parents travaillaient quinze heures par jour et n’étaient quasiment jamais là. […] ils étaient tellement épuisés à l’heure où ils rentraient du travail que tout témoignage d’affection était comme un rasoir : coupant, mince et bref. » En proie à ses démons, il se réveille un matin prisonnier dans un hôpital, incapable de se rappeler ce qui l’a mené là. Il s’évade et reprend sa route, enlisé dans ses pensées.

Sa sœur Cee, jadis le souffre-douleur de sa grand-mère pour être née dans la rue, ayant passé son enfance sous le bras protecteur de Frank, paie aujourd’hui les mauvais choix faits avec l’espoir d’une vie meilleure. « Elle suivait toujours les conseils de Frank : elle reconnaissait les baies vénéneuses, criait quand elle était sur un territoire de serpents, apprenait l’usage médicinal des toiles d’araignées. Les consignes de Frank étaient précises ; ses avertissements, limpides. Mais il ne l’avait jamais mise en garde contre les salauds. » Engagée officiellement comme assistante par un médecin, elle est victime de la folie eugéniste de celui-ci, qui la mutile, la laissant entre la vie et la mort.

L’auteure excelle dans l’analyse de la société américaine. Derrière l’apparente simplicité de l’histoire, elle reprend les thèmes qui lui sont chers : le racisme, l’esclavage, le ségrégationnisme, la guerre, le déracinement. Aucune phrase n’est innocente, et chacune participe à l’image de la précarité de la communauté noire des États-Unis dans les années 50 : « Mieux que la plupart, Frank savait qu’il n’est pas nécessaire d’être à l’extérieur pour qu’il y ait répression, légale ou illégale. Vous pouviez être à l’intérieur, vivre dans votre propre maison depuis des années, et des hommes, avec ou sans insigne mais toujours armés d’un pistolet, pouvaient tout de même vous forcer, vous, votre famille, vos voisins, à plier bagage et déménager – avec ou sans chaussures. » L’écriture est à la fois dense et poétique, fortement enracinée. Le récit est entrecoupé des pensées de Frank, qui par moments interpelle l’auteure, la prenant à témoin, créant une singularité dans la narration.

Toni Morrison est décédée en 2019, laissant la littérature américaine orpheline d’une grande voix et d’un grand talent.

Parution le 8 mai 2012
153 pages

Retrouvez ce roman sur le site de l’éditeur Christian Bourgeois

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