L’auteur pose un regard atypique sur les relations de couple et d’amitié, dans leur forme peu courante, fondamentalement généreuse, lorsqu’elles n’attendent rien en retour. Ici, chacun aime l’autre pour ce...
LireÀ Dieu Vat Jean-Michel Guenassia
Par Dominique de Poucques - 21 octobre 2023
Ce roman retrace le parcours de quatre personnages, deux garçons et deux filles, nés à quelques semaines d’intervalle et liés pour toujours. Le récit débute dans les années 20, dans une ambiance de guinguettes et de bals musettes. Il se poursuit pendant la deuxième guerre mondiale, cette fois à hauteur d’enfant. Les quatre vivent dans la peur et la faim, au gré des alertes et des bousculades vers les caves. Ensuite viendra le temps des études (l’occasion pour l’auteur de nous ramener à Saint Germains des Prés) pendant lequel Arlène, l’une des héroïnes, seule à être née dans un milieu modeste, devra faire preuve d’une détermination exceptionnelle pour être acceptée dans une école prestigieuse jusque-là réservée aux hommes et devenir ingénieure, à une époque ou personne n’imagine une femme tenir ce rôle. L’écrivain nous mènera jusqu’aux années 60 et à l’indépendance de l’Algérie.
Jean-Michel Guenassia est un formidable raconteur d’histoires. C’est un réel plaisir de voir ces enfants grandir et évoluer ensemble. Plaisir de découvrir en même temps qu’eux leur identité véritable, leurs quêtes utopiques, leurs engagements, qui parfois les sépareront. Toutes les femmes de ce roman sont fortes et indépendantes. Si les filles ont d’autres ambitions que leurs mères, celles-ci ont en leur temps fait preuve de ténacité, refusant de laisser les hommes leur dicter leur conduite.
En toile de fond, les grands bouleversements de l’Histoire : les affrontements du XXème siècle, une manière de rappeler que « la paix n’est qu’une exception, un temps miraculeux entre deux conflits » ; des épisodes méconnus, comme celui de la création de la bombe atomique française ; et surtout l’idée qu’on a beau se débattre, on n’est jamais réellement maître de son destin.
ENTRETIEN
- Jean-Michel Guenassia, qu’est ce que c’est que cette histoire ?
Ce sont plusieurs histoires imbriquées qui n’en forment qu’une. Comme dans nos vies, en réalité. Ce sont 4 amis qui naissent au même moment et entre eux ce sera « à la vie à la mort ». J’avais envie de raconter un carré magique : 2 garçons et 2 filles qui vont s’aimer à la folie et que la vie va séparer quand, avec l’âge adulte, arriveront les relations amoureuses, les déceptions et les trahisons, d’autant plus douloureuses qu’ils se sont tant aimés.
Le fil rouge en arrière-plan, c’est une des grandes utopies du XXème siècle : la condition féminine. Comment ces femmes qui n’avaient pas le droit de voter ou d’ouvrir un compte en banque ont conquis les droits qui sont les leurs aujourd’hui. Arlène met sans cesse le pied dans la porte, dépasse les préjugés sexistes et réussit à travailler dans un laboratoire rempli de polytechniciens. Elle devra prouver, en faisant deux fois plus d’efforts que les hommes, qu’elle mérite sa place. On a oublié la bataille que cela a représenté. L’école polytechnique en France ne s’ouvre aux femmes qu’en 1974 !
Ce qui m’intéresse dans cette aventure c’est son côté romanesque, c’est l’histoire de David contre Goliath. Et on est toujours du côté de David, du côté de celui qui se bat.
- Le roman foisonne de thèmes, dont certains déjà traités dans vos précédents livres : les années 60, l’indépendance de l’Algérie, l’émancipation féminine, la jeunesse et la force de ses amitiés, l’utopie. Vous y ajoutez l’épisode passionnant de la création de la bombe atomique française. Cette fois encore, vous racontez une histoire dans l’Histoire. Vous faites toujours un travail de reconstitution.
En réalité je ne raconte pas l’histoire ; je la vis. C’est un roman sociétal, sur l’évolution de notre société et la manière dont les personnages y sont confrontés. Arlène s’incruste et malgré ses succès, elle n’aura jamais que la place que les hommes ne souhaitent pas réellement occuper. Si le secteur public acceptait les femmes, ce n’était pas pour faciliter leur émancipation, mais parce que les jeunes hommes qui sortaient des grandes écoles voulaient des postes dans le privé, où ils étaient mieux payés.
- Le réel sujet du livre est le rapport au destin. On joue parfois sa vie à pile ou face. Ou on croit être sur une voie tracée et un événement nous fait repartir ailleurs, ce qui laisse supposer qu’on n’est jamais maître de rien. Bien qu’Arlène se batte sans cesse, son destin la devancera toujours.
Oui, quoi qu’on fasse de nos vies, il y a des choses qu’on ne maîtrise pas. Que ce soit au niveau affectif, professionnel, sociétal. On ne peut pas s’assurer sur tout, pour tout. Heureusement d’ailleurs. On ne maîtrise pas tout, il y a une part d’inconnu dans nos existences, à laquelle il nous faire face chaque jour. On réagit, on remet à distance, on repose le problème avec de nouveaux paramètres. Il y a des interférences qui nous poussent à nous adapter. Notre capacité d’adaptation est plus importante que nos décisions.
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