De sa plume limpide, ciselée, l'auteur de "La fractale des raviolis" confirme et réussit un second roman brillant où les petites histoires révèlent l'universalité.
LireLa promesse de l’aube Romain Gary
Par Dominique de Poucques - 28 mai 2021
Romain Gary, écrivain, diplomate, militaire, aviateur, résistant, réalisateur, écrit en 1960 ce roman autobiographique, prétexte à rendre le plus beau des hommages à sa mère. Celle-ci aura vécu dans l’adoration de son fils, élaborant durant toute sa vie des scénarios plus ou moins vraisemblables dans lesquels il devient célèbre, adulé et respecté. Lui n’aura de cesse de la contenter, tentant par tous les moyens de se conformer aux attentes immodérément ambitieuses de sa génitrice. Contre toute attente, il y parviendra ; par un tour presque amusant du destin, il sera décoré plusieurs fois et recevra deux prix Goncourt. Sa fin tragique, assortie de la révélation de sa double identité littéraire participera à la création d’un personnage quelque peu mythique.
« La promesse de l’aube » est un condensé d’amour entre une mère et son fils. Pourtant rien de mièvre à cette lecture, Romain Gary maniant subtilement l’ironie et l’autodérision pour décrire le fils qu’il fût, prêt à tout pour voir sourire sa mère. Le livre est divisé en trois parties. Dans la première, il raconte son enfance, tantôt avec une poésie folle, à d’autres moments avec une lucidité déchirante. La lecture nous en laisse un sentiment double d’attendrissement amusé pour celui qui ne deviendra jamais vraiment adulte. Dans la seconde, il se raconte cherchant une place parmi ses contemporains. Lorsqu’il parle à la première personne, c’est à l’humanité tout entière qu’il fait référence, bien plus qu’à lui-même. Il regarde avec très peu d’indulgence le jeune homme qu’il était, dénigrant son talent, tentant malgré tout d’expliquer ce qu’il a tenté de faire et d’être, certain déjà d’avoir échoué : « Ma course fut une poursuite errante de quelque chose dont l’art me donnait la soif, mais dont la vie ne pouvait m’offrir l’apaisement. Il y a longtemps que je ne suis plus dupe de mon inspiration et si je rêve toujours de transformer le monde en un jardin heureux, je sais à présent que ce n’est pas tant par amour des hommes que par celui des jardins. Et, certes, le goût de l’art vivant et vécu demeure toujours à mes lèvres, mais c’est surtout comme un sourire : ce sera sans doute ma dernière création littéraire, s’il me reste encore quelque talent. » Enfin, c’est son expérience de soldat qu’il relate dans la dernière partie, elle aussi teintée de poésie, comme lorsqu’il dépeint son sentiment amoureux : « Ce que je veux dire, c’est qu’elle avait des yeux où il faisait si bon vivre que je n’ai jamais su où aller depuis. » On y entrevoit finalement un éclair d’indulgence à son propre égard, et la justification de toute une existence : « Je n’ai pas démérité, j’ai tenu ma promesse et je continue. J’ai servi la France de tout mon cœur, puisque c’est tout ce qu’il me reste de ma mère, à part une petite photo d’identité. »
L’écrivain fait le choix de romancer cette autobiographie ; certains faits sont avérés, d’autres inventés, ajoutant par moments à l’ensemble un aspect tragi-comique. Toute sa vie, Romain Gary aura eu recours à la mystification, modifiant de nombreuses fois son discours à propos de ses origines, distillant délibérément des éléments biographiques obscurs et imprécis. Bien sûr, l’utilisation du pseudonyme Emile Ajar aura été à la base d’une supercherie de grande ampleur révélée lors de sa mort, à la fois coup de théâtre et dernier mystère, à l’image de la fin de ce livre, déchirante et sublime.
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