De sa plume ciselée, Alain Mabanckou tisse une galerie de portraits truculents, conjugue récits au goût sucré-salé, drôles, amers et dévoile de la vie, son authenticité, sa loufoquerie et ses...
LireLa vie est un roman Guillaume Musso
Par Dominique de Poucques - 9 juin 2020
ENTRETIEN
Ce roman est pour vous une nouvelle occasion de jouer avec vos lecteurs. Vous les emmenez où vous voulez, vous brouillez les pistes. D’abord avec des personnages qui passent de la fiction à la réalité, ensuite par une vertigineuse mise en abîme : l’écrivain que vous êtes mettant en scène un autre écrivain, qui crée lui-même le personnage d’un écrivain. Avez-vous conscience du fait que quand on regarde Romain Ozorski, on ne voit que vous ?
Oui, bien que je l’aie d’abord écrit en ayant en tête Romain Gary, qui est un compagnon de lecture depuis l’adolescence, et dont la vie ma passionne autant que l’œuvre. Forcément, comme je le fais parler à la première personne, il a des intonations et des idées qui m’appartiennent. Heureusement pour moi, je n’ai pas la vie sentimentale triste et compliquée de Romain Ozorski.
C’est un personnage sensible, qui voue un amour inconditionnel à son fils, mais il a aussi un côté désabusé. Il règle un peu ses comptes avec le monde de l’édition et du journalisme. En vous lisant, on a le sentiment que vous faites un bilan. C’est le cas ?
Pour ce qui est de la déclaration d’amour à son fils, elle est complètement décalquée sur ce que je vis. Depuis que je suis père, je me sens relié à la vie de manière très positive et lumineuse. J’ai un fils de l’âge de Théo. Il change mon regard sur l’avenir malgré les tombereaux de mauvaises nouvelles qui s’abattent sur nous en permanence. C’est vrai que dans le roman, Ozorski est dans la tourmente. Mais s’il s’agit de mon bilan en tant qu’auteur, il n’est pas désabusé. Je fais le point sur ces dernières années où je me suis levé en me demandant ce que mes personnages allaient me réserver. C’est le résumé de 15 années de fréquentation du monde de la fiction, et une réponse aux questions que les lecteurs me posent très souvent sur ma manière de travailler, de trouver l’inspiration, etc. J’ai voulu ouvrir un peu la boite noire du romancier mais à travers une enquête policière et littéraire, de manière ludique.
Le sujet principal de ce roman est l’acte d’écriture. Vous mentionnez qu’écrire « permet de capter chez les gens ce qu’ils ignorent d’eux-mêmes. » Comme votre personnage Flora Conway, vous observez les gens pour en faire le carburant de votre écriture ?
Oui, c’est comme ça que naissent mes romans. Tout fait farine à mon moulin : l’observation, l’expérience, l’actualité, un ressenti, un rêve, … Comme le dit Stephen King, il y a des dizaines de sujets qui s’abattent sur nous chaque jour, et le talent du romancier est de savoir à quelle étincelle se raccrocher, en tenant compte de sa propre situation dans la vie. Je crois à une certaine synchronisation entre une histoire et ce que l’on vit à l’instant de l’écriture.
Chaque chapitre débute par une citation d’écrivain célèbre. Toutes ont trait à la vie ou l’écriture, peut-être à l’art de vivre et l’art d’écrire. Est-ce que vous opposez les deux ?
Les citations proviennent de 20 ans de lecture d’auteurs qui ont parfois ouvert les portes de leur intimité par rapport à la création littéraire. J’ai lu une quantité de livres stimulants, qui traitent de ce jeu entre l’univers imaginaire et la vie réelle. Pour ma part, j’ai vécu longtemps en mélangeant les deux. J’écrivais quand je pouvais, souvent la nuit. Avec l’âge, ç’est devenu plus difficile. Le fait de rencontrer ma femme a mis de l’ordre dans tout ça. Maintenant je fais la distinction entre la vie familiale et le travail. Depuis quelques années j’ai un atelier de l’autre côté de la Seine, et c’est là que j’écris quotidiennement après avoir conduit mon fils à l’école. Selon Stephen King, pour écrire il faut apprendre à fermer la porte du quotidien pour accéder à l’imaginaire. Moi j’ai besoin de le faire physiquement. Et ça nous permet de montrer un exemple de normalité à nos enfants.
Voilà qui brise un peu le mythe de l’écrivain en souffrance, qui écrit jour et nuit…
Il y a malgré tout sans doute une part de souffrance dans le processus. A la base, il me semble qu’il y quand même un désir de maîtrise. Comme on contrôle nos vies de manière très imparfaite, on se dit qu’au moins on pourra avoir une emprise sur ce monde imaginaire. Nabokov disait que ses personnages étaient des galériens qui lui obéissaient au doigt et à l’œil.
Vous dites d’ailleurs dans le livre que vous jouez à Dieu.
Oui ! On se dit que l’on va être à la tête d’un royaume dont on sera le démiurge. Sauf que le livre que l’on a en tête au départ est rarement le même à la sortie. Pierre Lemaitre explique cela en disant qu’il faut faire confiance à l’écriture, mais pas trop. Pour écrire un livre à suspense, il faut au minimum un squelette, avoir travaillé ses personnages et s’être documenté. Après cela, il faut rester ouvert à ce qui va arriver et qui n’était pas prévu. Écrire devient vraiment intéressant lorsqu’on s’éloigne du canevas de départ. Le roman en devient en principe plus riche. Ce processus créatif est passionnant et n’est jamais le même. Comme disait Anaïs Nin : « Je déteste écrire mais j’adore avoir écrit ». Il y de la tension dans l’écriture car c’est à la fois un processus artisanal et irrationnel. Simenon, avec près de 300 romans à son actif, avait encore le trac avant d’entamer un nouveau récit. Je trouve ça touchant, et ça montre le côté incertain de la démarche.
Vous évoquez la nécessité de trouver une vérité propre à chaque personnage. Est-ce qu’ils restent en vous une fois le livre terminé et la promotion achevée ?
C’est variable d’un livre à l’autre. Je sais où sont certains d’entre eux, je connais la suite de leur histoire. Pour d’autres, c’est moins défini. Tant que l’on n’a pas trouvé cette vérité propre de chacun des personnages principaux, l’histoire patine. Parfois, après une centaine de pages, on s’en rend compte et on doit travailler à mieux comprendre qui ils sont. Dans ce cas-ci, le roman a pu réellement démarrer quand j’ai complètement cerné le personnage de Fantine.
Le personnage d’Almine, par sa détresse et sa colère, vous permet de parler de l’époque et de la société dans laquelle nous vivons, et d’en montrer les travers. Vous tenez à situer votre histoire et à parler des phénomènes de société qui correspondent à la réalité ?
Oui. Elle a des préoccupations contemporaines et légitimes. Mais ses préoccupations prennent toujours une pente dangereuse. Elle est imprévisible et inquiétante, et elle déstabilise Romain parce qu’elle cristallise les imperfections du monde. Elle est dure, et on peine à la comprendre.
Vous rendez hommage à de grands auteurs à travers tout le livre. Romain Gary est celui que l’on garde à l’esprit : Ozorski a le même prénom, la même démarche pour échapper à l’étiquette qu’on lui colle. Cette tentation de disparaître des radars, vous l’avez eue ?
Honnêtement, non. Je n’ai pas cette souffrance par rapport à la légitimation de mon travail, et je ne trouverais pas ça particulièrement amusant. Je mène aujourd’hui la vie que je rêvais d’avoir et je n’ai pas de revanche à prendre. Mais Romain Gary et cette mystification autour d’Émile Ajar me fascinent. Il y a de la tristesse dans toute cette affaire. Gary était un romancier moderne, écologiste, féministe avant l’heure. Beaucoup de ses romans sont autobiographiques. Il était obsédé par la multiplicité des identités. Il a tenu bon et n’a jamais révélé l’identité d’Émile Ajar, mais il était terriblement tourmenté. Il faut du panache pour faire ça.
Est-ce que vous pensez que vos fans vont malgré tout se mettre à chercher des textes qui pourraient être les vôtres et que vous auriez écrit secrètement ?
C’est possible, parce que le roman est écrit à la première personne, et ce serait amusant. Si la réalité et la fiction de mon roman se mélangent, c’est que ça fonctionne. Tout cela reste un jeu de construction entre celui qui écrit le livre et celui qui le lit, ce n’est plus dans mes mains maintenant.
CHRONIQUE
Dans la famille très nombreuse de Guillaume Musso, voici le petit dernier, paru dès les premiers jours de déconfinement. Avec ce roman, Musso poursuit en quelque sorte le travail entamé avec « La vie secrète des écrivains ». Au-delà de l’intrigue bien ficelée, chargée de rebondissements laissant le lecteur un rien vexé de n’avoir rien vu venir, il se penche sur le processus de l’écriture. En trois chapitres et trois points de vue, il fait le point sur la relation qui lie l’écrivain et ses personnages, et sur la place que l’écriture veut bien laisser à l’existence. Au passage, il égratigne un rien le monde de l’édition, mais surtout, il rend hommage aux écrivains qu’il admire : on retrouve entre autres les ombres de Stephen King et Romain Gary planant au fil des pages. Il y a de la schizophrénie dans tout cela, une distorsion de l’espace-temps, et une formidable déclaration d’amour d’un père à son fils. En définitive, aucune raison de s’en priver cet été.
Retrouvez ce roman sur le site de l’éditeur CALMANN LÉVY
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