Au crépuscule de sa vie, Marie se raconte, se libère de son passé, permettant à sa fille de se connecter au sien. Une vie d'un autre temps. Un premier roman...
LireLes veilleurs de Sangomar Fatou Diome
Par Dominique de Poucques - 15 février 2021
La jeune Coumba vient de perdre son mari Bouba dans un naufrage au large de Dakar. La nuit, elle parle aux âmes des victimes de l’accident. Celles-ci s’adressent à elle depuis Sangomar, île inhabitée à l’ouest du Sénégal, au débouché du delta du Saloum. L’incompréhension s’installe entre Coumba et les membres de sa communauté, qui ne croient pas à ces conversations avec l’au-delà. Elle vit alors des journées interminables, engoncée dans le rôle de veuve exemplaire qu’on veut lui faire jouer. Chaque membre de la famille proche ou éloignée, lui rend visite et exprime une opinion sur la manière de porter le deuil, dans le respect de la tradition. Certains, dont sa belle-mère, cherchent déjà à la remarier. Alors qu’on la croit à moitié folle, elle se replie dans le silence et s’absorbe dans l’écriture, pour ne pas taire ses sentiments, espérant chaque soir les partager avec l’homme qu’elle a perdu et dont l’âme se trouve depuis au-delà du bras de mer qui les sépare. En dehors de ses conversations avec Bouba, seul l’amour qu’elle porte à sa fille encore bébé, lui procure un peu de réconfort.
Communiquer avec son mari défunt permettra à Coumba de se relever et de poursuivre sa route. Passée la période de deuil, elle finira par s’imposer, jouant l’équilibriste entre sa liberté et le respect des traditions. Elle pourra alors regarder vers l’avenir pour elle et sa fille Fadikiine (dont le prénom signifie « Accomplis-toi en tant qu’humain »)
Fatou Diome fonde son roman sur certaines croyances traditionnelles africaines : pour les Sérères, qui composent une importante ethnie du Sénégal (dont la romancière et son héroïne sont originaires), la « pointe de Sangomar » est un lieu de culte, le point de rassemblement des esprits bienveillants des ancêtres. Le roman fait la part belle à l’Histoire et aux cultures européennes et africaines, qui ont façonné la romancière franco-sénégalaise. Celle-ci fonde sa narration sur le deuil, assurant qu’il se situe au-delà des religions : « La douleur est une autre foi, qui elle, donne toutes ses preuves. » Elle rappelle qu’au temps du chagrin, l’humain interpelle avec la même ferveur Jésus, Abraham ou Mohamed pour intercéder en sa faveur auprès de Dieu. La lecture du livre nous pousse à nous interroger sur la place que l’Occident laisse à l’Afrique : le naufrage qui constitue le point de départ du livre est un fait historique. Or malgré ses deux mille victimes (davantage que celles causées par le Titanic), personne en Europe ne se rappelle cette tragédie datant de 2002. « L’intérêt que l’opinion publique mondiale accorde à chaque catastrophe meurtrière est proportionnel à la puissance financière du pays concerné. », écrit l’auteure.
Le récit oscille entre tangible et imaginaire. Le vocabulaire est riche, ponctué d’expressions en langues africaines (le sérère et le wolof, toutes deux parlées au Sénégal). L’écriture est dense, et diffuse aux oreilles du lecteur une musique poétique remplie d’espoir et de liberté.
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