Mademoiselle Papillon Alia Cardyn

Par Dominique de Poucques - 5 novembre 2020

Superbe réussite que ce quatrième roman d’Alia Cardyn. Mademoiselle Papillon est infirmière. Chaque jour, avant de se rendre au dispensaire de la Croix-Rouge, elle arpente les rues, les sens en éveil, attentive aux enfants à qui il manque tant de choses « dans ce lieu où la guerre a cessé mais où elle est partout encore ».

Nous sommes en 1920. Thérèse Papillon forme le dessein de créer un refuge pour ces enfants vivant dans la désolation. « J’ignore pourquoi le sort des enfants me touche plus que n’importe quelle autre souffrance. […] Depuis la fenêtre du dispensaire, je les observe jouer dehors, dans le froid et la pluie. Ces enfants s’amusent d’un bout de bois, de quelques cailloux, ils ont les loisirs de ceux qui n’ont rien, et d’un rien ils bâtissent un monde chargé de promesses. Non tenues. La plupart ont dépassé le mètre vingt mais il y a aussi des bambins. Avec leur courbe de croissance freinée par le manque de nourriture, il est difficile d’évaluer leur âge. Peu importe, ils seront toujours trop petits pour être là. Leur maigreur leur donne l’allure chétive d’un plus jeune tout en durcissant leurs traits, mélange étrange que dessine la faim sur ces visages d’enfants. Cet ensemble formé par leur teint terne, leurs joues creuses, leurs cheveux sales et leurs sourires, m’interpelle. Cette combinaison insolite me captive, ne me lâche jamais, telle une urgence que j’aurais laissée de côté. »

Gabrielle quant à elle, travaille de nos jours dans un service de néonatologie. Son quotidien est fait de bébés arrivés trop tôt, de parents hébétés, de couveuses et d’angoisse. « Ici rien n’est acquis. Chaque victoire, aussi petite soit-elle, a le goût de cette lutte quotidienne, produit d’une alliance atypique, un enfant qui veut vivre, une mère et un père qui veulent aimer, une infirmière qui veut aider. Ceux qui quelques jours auparavant ne se connaissaient pas s’unissent désormais dans un seul but, devenu plus important que tout autre. » Fatiguée, désabusée, elle a perdu la confiance qui l’animait et la certitude liée à sa mission. Petit à petit, elle voit sa lueur interne faiblir, sa persévérance s’amoindrir. Elle s’interroge sur son propre sort : « Je me demande à quel moment ma chute a débuté. Elle semble lente, diffuse, éparpillée sur les deux dernières années. Je ne me souviens pas du matin où je me suis levée avec moins d’entrain. Quand ai-je cessé de m’asseoir près des mamans de la salle 79 ? ».

A l’inverse, Mademoiselle Papillon est au fil des pages et des années de plus en plus déterminée, sûre de son but, ne laissant aucune porte se fermer devant elle. Elle élabore des stratégies ambitieuses sans se soucier des difficultés, tout à son objectif : transformer l’abbaye de Valloires pour y accueillir les enfants vivant dans une pauvreté extrême, souffrant de malnutrition, de tuberculose, de l’absence de pères, emportés par la guerre. Si elle aussi fait face à un questionnement intérieur, c’est qu’elle recherche la manière d’offrir le meilleur d’elle-même : « Je suis debout à l’attendre près du portail lorsqu’il le franchit seul, ignorant qu’il est la première manifestation de mon rêve. J’ouvre les bras et je souris. Je lui lance un simple : « Bienvenue Antoine. Bienvenue dans ta maison. » Et je décide que cette formule sera celle qui accueillera tous les autres. Car, finalement, après une longue route, il n’y a pas grand-chose d’autre à dire à ces enfants sinon leur assurer qu’ils sont bien arrivés chez eux. J’ai envie de le prendre par la main. Je me demande si le petit homme qu’il est devenu tolérerait ce geste. Si ma paume contre la sienne, ma main nourrie contre la sienne, sèche, serait l’attitude adéquate. Si nos peaux qui se touchent seraient le meilleur accueil pour lui. Avec cette question en surgissent d’autres, dessinant ce chemin qui sera désormais le mien. M’interroger sur la plus juste façon d’aimer. »
Alia Cardyn écrit cette histoire magnifique d’une plume délicate, avec une réelle grâce. Le récit est lumineux et fonctionne à merveille, alternant ces deux histoires de femmes, entrecoupées des pensées que Mademoiselle Papillon couche sur papier. Il rend les deux personnages féminins infiniment attachants. Ces femmes dissemblables se retrouvent totalement dans cette volonté farouche de sauver les plus jeunes existences. « Quand la misère est partout, nous ne pouvons faire qu’une seule chose. Notre part. »



ENTRETIEN

Vous expliquez dans le livre comment vous avez entendu parler de Mademoiselle Papillon. Qu’est ce qui a résonné en vous lors de la découverte de cette personnalité ?

Tout d’abord, je n’avais pas mesuré ce féminisme d’entre-deux-guerres, et la place laissée aux femmes par l’absence des hommes. Ça a été le premier choc. Et lorsque le guide à Valloires nous a raconté l’histoire, je me suis demandé si j’avais bien compris, si on parlait réellement d’une femme et de ce qu’elle avait réalisé en 1920. Tout à coup, j’ai ressenti une incroyable énergie, j’ai eu un sentiment comparable à ce qu’on ressent quand on tombe amoureux. Cette femme me plaisait tellement. Je trouve qu’on manque aujourd’hui de personnages à admirer, et j’avais trouvé le mien. En tant qu’ancienne avocate et perfectionniste, j’accorde beaucoup d’importance à l’exactitude des faits, donc j’avais très peur de me lancer dans un roman basé sur une personne ayant existé. Mais j’ai su à ce moment-là que je devais le faire. J’ai commencé à imaginer comment le construire. C’était une rencontre merveilleuse, rare. On a tous besoin de ce genre d’inspiration.

Qu’y a-t-il de vous chez Mademoiselle Papillon ?

Peut-être cette capacité à rêver. Son rêve est plus altruiste que les miens, bien que dans mon écriture j’essaie de transmettre une connaissance à laquelle tout le monde n’a pas accès, parce que ce sont des sujets peu accessibles ou carrément tabous. Au moyen d’une bonne intrigue, on peut faire circuler une connaissance, un savoir. Une autre chose que je partage avec elle, c’est une foi profonde, une conviction. Elle n’envisage pas l’échec puisque son projet est le projet de Dieu. C’est quelque chose qui résonne en moi. J’ai cette sérénité, cette confiance. C’est important d’être dans la joie et l’abondance, surtout dans des périodes difficiles, comme celle que nous connaissons. Mes personnages m’offrent beaucoup. Je me mets à travailler, et c’est comme s’ils me dictaient. J’essaie d’être fidèle à leur personnalité. J’ai eu une grande tante qui ressemblait à Thérèse Papillon, qui avait ce genre de tempérament. Ces femmes qui ont traversé la guerre étaient à la fois capables de beaucoup de douceur et d’une force incroyable. Ça a été formidable de porter la voix de cette femme extraordinaire.

D’où vient l’idée du personnage de Gabrielle, et celle de mettre en parallèle les deux histoires ?

Le premier problème que j’ai identifié sur le plan scénaristique, c’est que mon personnage était trop parfait. Elle trace son chemin avec une telle détermination, son parcours est sans faute, cela peut paraître peu intéressant. Une bonne histoire a besoin de hauts et de bas, de possibilités de résilience. J’avais peur qu’il manque une dimension. Je pensais aussi qu’une partie de mon lectorat pouvait se sentir perdue en 1920, j’avais besoin de les relier à notre époque. Parallèlement, une de mes lectrices m’a contactée pour me parler de son expérience en néonatologie. Ça a été une expérience très forte. Elle a ouvert son cœur et m’a tout appris de ce que pouvait être le ressenti d’un parent dans ce service. Je me suis rendu compte que je ne savais que très peu de choses sur le sujet, et son vécu a réellement nourri l’histoire.

Parlez-moi du Nidcap, ce programme de soins centré sur la famille, et de celle qui l’a fait naître : Heidelise Als.

Je cherchais un facteur de résilience pour Gabrielle, et après quelques jours d’interview autour de la néonatologie, le terme « Nidcap » est arrivé. J’ai approfondi et j’ai eu la chance d’interviewer Heidelise Als. Ça a été un des moments les plus importants de ma vie. C’est une personne extraordinaire qui apporte une humanité folle au sujet. La néonatologie est un service où la technicité est reine, et dans lequel il très difficile pour les parents de prendre leur place. Le concept du Nidcap renverse cette tendance et inclut chaque individu. J’ai voulu apporter ce programme au roman, toujours dans l’idée de transmettre de la connaissance. Il existe des hôpitaux en Belgique qui pratiquent le Nidcap mais ils sont peu nombreux.

L’écriture des trois histoires s’est-elle faite simultanément ?

Je suis très disciplinée. Je m’oblige à écrire 5000 signes par jour. Quand je commence un roman, je fais un programme hyper précis, avec des objectifs quotidiens. C’est nécessaire pour ma satisfaction personnelle. Et dans mon cas, c’est l’écriture même qui me donne des idées, et j’ai besoin du rythme. Je vais jusqu’à lire le soir pour avoir un maximum de vocabulaire en tête au réveil. J’essaie d’écrire linéairement pour mon confort, mais parfois ça ne fonctionne pas. Je peux être par moments plus proche d’un personnage, avec une émotion différente, et avancer plus dans une histoire qu’une autre. Ensuite je fais le montage. J’ai commencé certains romans par la fin.

Vous connaissez toujours la fin au moment de vous lancer dans l’écriture ?

La plupart du temps, je n’ai rien du tout. Ce sont les personnages qui se racontent au fur et à mesure. J’ai l’impression de les écouter. J’ai été coach jusqu’il y a peu, et je continue d’une certaine façon à assumer ce rôle auprès de mes personnages.

Est-ce que vos personnages vous accompagnent encore un moment après la publication d’un livre ?

Non, sans doute parce que je suis très ancrée dans mon présent. Mais tout de même, à la fin de l’écriture, je les imagine parfois danser tous ensemble, faire la fête.

Vous écrivez aussi des livres de développement personnel, le travail est-il le même ?

Je ne le fais plus aujourd’hui. C’était une étape. Mon désir profond était d’écrire un roman, mais je ne me sentais pas légitime. C’est mon mari qui a cru suffisamment en moi pour m’encourager à le faire. Je n’aurais jamais franchi le pas sans lui.

Parution le 15 octobre 2020
272 pages

Retrouvez ce roman sur le site de l’éditeur Robert Laffont

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