Par les routes Sylvain Prudhomme

Par Dominique de Poucques - 27 février 2020

C’est d’abord l’histoire de retrouvailles. Sacha, personnage et narrateur, vient d’emménager dans un village de Provence, prêt pour une nouvelle vie. Dès son arrivée, il comprend que « l’autostoppeur » (il ne sera jamais nommé) habite la même bourgade. Vingt ans plus tôt, Sacha avait écarté de sa vie cet ami de jeunesse. Il lui fait néanmoins signe et le retrouve, presque inchangé : à peine vieilli, en couple avec Marie, père d’un jeune garçon. Il est resté ce voyageur compulsif qui régulièrement disparaît, faisant du stop sur les autoroutes de France. Il ne visite pas réellement le pays, mais s’enivre de rencontres hasardeuses avec ces conducteurs qui le transportent, et qu’il prend en photo au moment de les quitter. Petit à petit, les voyages s’allongent, la fréquence des départs augmente. Cette quête chimérique ne cessera plus. « Sur l’autoroute on ne se retourne jamais. Pas de place pour le repentir », a-t-il l’habitude de dire. 

L’autostoppeur parti loin des siens, Sacha se rapproche de Marie et de son fils Agustín. C’est ce quatuor, qui n’existe que par l’absence même d’un de ses membres, qu’expose Sylvain Prudhomme de son écriture sûre, précise, librement ponctuée. Il fait de ce nomade magnifique, que l’on croit déphasé et utopiste, un être immensément humain et généreux.  Il représente Marie comme une femme forte et libre, qui accepte de vivre la dualité de ses sentiments. Il dépeint Sacha, l’écrivain, le double antinomique de l’autostoppeur, ancré dans la réalité du quotidien. « Le monde est divisé en deux parties : ceux qui partent et ceux qui restent », dit-il. Quant au jeune Agustín, il observe le monde adulte dans un silence confiant.

L’auteur pose un regard atypique sur les relations de couple et d’amitié, dans leur forme peu courante, fondamentalement généreuse, lorsqu’elles n’attendent rien en retour. Ici, chacun aime l’autre pour ce qu’il est, et non pour le regard qu’il lui renvoie. Les sentiments sont forts, partagés, mais exprimés différemment selon les protagonistes. Chacun accepte d’offrir à l’être auquel il tient la liberté d’être lui-même, et trouve la force de ne pas le juger. De là naît un bonheur paisible, fait de la certitude de l’affection qui unit ces quatre individualités. Cette vision du romancier est originale, et sa lecture fait le plus grand bien. On se prend d’affection pour ses personnages, on aime d’emblée leur liberté, on admire tantôt la maturité de leurs sentiments, tantôt l’extravagance de leurs comportements. Et on se promet de prendre le prochain autostoppeur que l’on croisera, espérant partager un peu de l’humanité qui inonde le livre.

Parution le 22 août 2019
304 pages

Retrouvez ce roman sur le site de l’éditeur Gallimard

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