Sa dernière chance Armel Job

Par Dominique de Poucques - 26 février 2021

Le roman débute par un rendez-vous galant auquel un des deux protagonistes n’arrivera pas. L’occasion de présenter Élise, une jeune femme tout ce qu’il y a de présentable, célibataire entièrement dévouée à sa sœur, son beau-frère et leurs enfants. Ses besoins semblent limités, ses attentes inexistantes, sa personnalité fragile. Le prétendant ayant raté la rencontre, Pierre, est un antiquaire peu scrupuleux, étrangement lié à un chanoine passionné d’art religieux, s’arrangeant avec sa foi et sa conscience pour choyer son intérêt personnel. Pour quelle raison Élise décide-t-elle de donner un grand coup de balai dans ce train-train quotidien qui parait si bien lui convenir ? Ce faisant, elle ébranle bien plus que son propre avenir. De coups bas en trahisons, ce petit monde ruse et complote dans le but d’assouvir ses propres desseins, plus ou moins honteux. Chacun se sert d’un autre pour arriver à ses fins. Une fois encore, l’auteur parvient à duper allègrement son lecteur. Chez Armel Job, personne n’est innocent, et le plus coupable n’est jamais celui qu’on pense.

Le romancier s’amuse à faire pencher le lecteur d’un côté et de l’autre d’une balance invisible, entre âmes vertueuses et corrompues, entre tolérable et inacceptable. Il sonde l’être humain qui se pose si facilement en juge et malgré sa propre faiblesse, se sert de celle qu’il décèle chez l’autre, quitte à le faire sombrer. Dans le processus, celui qui tourne les pages du livre se retrouve obligé de reconnaître son manque de perspicacité. Bien souvent, il devra s’interroger sur sa propension à condamner lui aussi un peu trop rapidement l’un ou l’autre personnage. C’est ainsi que les travers humains exposés dans l’œuvre d’Armel Job apparaissent en miroir de nos propres défaillances.

ENTRETIEN

  • Avant de parler de votre roman j’aimerais revenir sur votre nomination à l’académie royale de langue et littérature françaises de Belgique. Quand on a comme vous consacré une grande part de sa vie à l’apprentissage, l’enseignement, puis l’écriture des langues, cela arrive-t-il comme une consécration ?

Plutôt comme une surprise. J’ai même pensé que c’était une erreur. On ne pose pas de candidature à l’académie belge, on reçoit un jour un coup de téléphone tout-à-fait inattendu du secrétaire perpétuel qui vous annonce l’élection. J’ai d’abord répondu que j’allais y réfléchir, mais on m’a expliqué que ça ne se refusait pas vraiment. Donc j’ai accepté l’honneur avec plaisir. Cela implique en principe une réunion par mois, mais le programme est chamboulé en ce moment.

  • Venons-en à vos écrits. Dans vos romans, personne n’est jamais totalement innocent, et chacun est particulièrement enclin à juger l’autre. Pensez-vous que l’âme humaine est si sombre ? Ou est-ce un jeu pour vous ?

Je vois l’être humain comme un être complexe. Je pense que personne ne peut se targuer d’avoir une vie sans ombre, d’être toujours irréprochable, animé en permanence par des sentiments bienveillants. Tous, lorsque nous consentons à entrer en nous-mêmes pour nous examiner, y trouvons des faiblesses : une tendance à juger, à utiliser les autres, qui provient parfois simplement d’un instinct de survie. Tout cela donne à l’âme humaine un côté sombre. Mais nous avons aussi nos lumières. Je pense qu’aucun de mes personnages n’est totalement noir ou blanc.

  • Vous aimez la Wallonie, vous la mettez en scène dans tous vos ouvrages. Est-ce important de mettre en avant nos spécificités belges ?

Je trouve que c’est normal. Mais nous sommes dans un pays bizarre : si vous étiez devant un auteur anglais vous ne lui demanderiez pas pourquoi il parle tellement de l’Angleterre.

  • Vous n’hésitez pas à utiliser de savoureux belgicismes, par exemple.

Non, tant que c’est que compréhensible pour tous. On ne s’étonne pas que Marcel Pagnol utilise des mots typiques de la Provence, même si on n’en a pas l’usage. Pareil pour les Québécois. Comme je suis Belge, j’écris des histoires qui se passent en Belgique. Je connais bien Liège, que je décris souvent, même si je ne suis pas à un détail près. Il m’est par exemple arrivé d’inventer une rue : la rue Alexis Curvers. C’est un romancier liégeois tombé dans l’oubli. Je trouvais anormal qu’on n’ait pas donné son nom à une rue alors j’ai rectifié.

  • Le point de départ de vos romans est le plus souvent la recherche de la vérité. Dans ce cas-ci c’est un journaliste qui mène l’enquête.

L’idée était de faire le partage entre ce que font un journaliste et un romancier : le premier recueille les informations comme il peut et doit s’en tenir à la surface des choses, à ce qu’on veut bien lui donner. Le romancier, quant à lui, par une convention tacite qu’il passe avec le lecteur, sait le fond des choses, ce que les gens ont pensé, leurs secrets. Il va les livrer au lecteur, qui a déjà une connaissance partielle des événements via l’enquêteur. La vérité arrive par le biais de cette convention. Dans la vraie vie on doit se limiter à ce qui est déterminé par l’enquête, ce que l’on voit et entend. On juge sur base de ces éléments très limités, donc le plus souvent l’apparence des choses.

  • D’ailleurs même en tant que lecteur, on se surprend à juger un peu trop rapidement vos personnages, et vous vous arrangez toujours pour que nous fassions fausse route.

Oui, c’est ce que je tente de provoquer. Mais moi-même je peux parfois être surpris. Quand je commence un roman je ne connais que très peu de choses sur mes personnages. Parfois ils ne sont encore que des caricatures. Petit à petit, je modifie leurs comportements, j’approfondis, je tente de comprendre.

  • Justement, vous êtes devenu maître dans l’art de surprendre. Comment se construit un tel roman ? Qu’avez-vous en tête au commencement de l’écriture ?

Je n’ai pas grand-chose en tête, à part un thème. Pour celui-ci j’avais à l’esprit le personnage d’Élise. Je voulais écrire sur quelqu’un qui n’a pas l’air de compter, qu’on a mis de côté, qu’on exploite un peu sans que ça semble la faire vraiment souffrir. J’ai toujours besoin d’avoir une relation sentimentale avec mes personnages. Il faut que quelqu’un me touche. Au départ elle me faisait un peu pitié. Mais petit à petit elle montre ses ressources. Je les ai découvertes au fur et à mesure et cela m’a plu.

  • Vous arrive-t-il de faire fausse route et de constater que votre personnage ne fonctionne pas ?

Il m’est arrivé d’abandonner un roman que je ne trouvais pas bon. Mais quand je travaille sur un thème et que l’histoire prend forme, j’essaie de me mettre dans les conditions du réel : une fois la scène écrite, même si elle ne me plait qu’à moitié le lendemain, je la garde. Puisqu’elle est là, je relève le défi de continuer sur cette voie. Comme dans la vie. On ne peut pas revenir en arrière.

  • Les femmes ont une vraie place dans vos histoires. Elles me semblent souvent moins malhonnêtes que vos personnages masculins. C’est conscient de votre part ?

Je ne mène en tous cas aucun combat. J’essaie d’écrire ce que je ressens, et c’est vrai que j’aime beaucoup les personnages féminins.

  • Il y a souvent une référence à l’Église dans vos romans. Vous aimez vous en moquer un peu, non ?

C’est vrai que dans ce roman-ci, le portrait du chanoine est peu flatteur. Il pourrait choquer. Mais l’institution catholique recèle certainement des cas similaires. Je ne critique pas le message catholique, ce n’est pas du tout mon propos. Mais l’institution est imparfaite. Je ne lui jette d’ailleurs pas la pierre ; le chanoine est avant tout un homme, il a d’abord été un prêtre de campagne, qui a fait de bonnes choses. C’est un homme généreux qui se trouve un jour dans une situation qui fait passer au second plan sa vocation. Il gère un patrimoine et il développe une passion pour les objets d’art, ce qui va l’éloigner de sa mission première.

  • Il me semble qu’il y a une dualité dans votre écriture : vous traitez de sujets plutôt graves, qui impliquent toujours une recherche de la vérité, mais vous y ajoutez une petite dose de sarcasme dans votre ton, qui rend le tout plus léger. Comme si la forme permettait d’adoucir le fond.

Oui, c’est un décalage que je recherche par le biais d’un ton humoristique ou de traits de caractère qui prêtent à sourire.

  • Dans votre roman précédent, vous faites dire à un commissaire : « Je suis comme un vieil auteur de thriller, les lecteurs veulent un crime, moi j’ai déjà tellement refroidi de personnages, que pour une fois, je voudrais écrire une bluette. » Vous aussi, vous envisagez d’écrire un jour quelque chose de très différent ?

Non, pas du tout. C’est ce genre de romans que j’aime écrire, je ne me vois pas faire autre chose.

  • Une phrase m’avait beaucoup plu dans votre précédent livre : « La vie c’est quelque chose et c’est grave. Inutile de noyer le poisson». Ce serait une belle épitaphe.
Parution le 4 février 2021
342 pages

Retrouvez ce roman sur le site de l’éditeur Robert Laffont

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